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tiburcereal

Salles je vous aime


Peut-être certains d’entre vous se souviennent-ils de cette phrase : « Le cinéma substitue à notre regard un monde qui s’accorde à nos désirs. ». Elle appartient à un film qui m’a marqué pour toujours, précédé d’une légende et mettant en scène un mythe, Brigitte Bardot, comme sans doute jamais personne ne l’avait jamais vue. Ce film m’a bouleversé parce qu’il m’a fallu attendre des années et des années avant de pouvoir le découvrir. Mais ce film est aussi un film sur le mythe du cinéma propulsé dans la réalité de ses difficultés de production, d’adaptation, et de compromissions, ce monde où Fritz Lang peine à tourner l’Odyssée d’Homère, ce monde où Le Mépris peut finir par séparer les hommes et les femmes, l’idéal artistique de la réalité pragmatique, l’envie du dégoût. Cette substitution annoncée, cette promesse implicite, ce désir profond du partage d’émotions en tous genres finit par s’inscrire au-delà des difficultés énoncées pour trouver son lieu d’expression ultime dans la salle de cinéma. Car, comme le dit Lucas dans « Juste Après Les larmes » : « Les films de cinéma sont bien trop grands pour des écrans de télévision », opposition si bien relayée par Godard dans « Sauve qui peut la vie », lorsque Jacques Dutronc écrit sur le tableau d’une salle de classe, en opposant cinéma et vidéo : « Abel et Caïn », la dimension biblique de la création originelle où la solidarité fraternelle espérée se termine par le premier meurtre de l’histoire de l’humanité. Cinéma et télévision, frère et sœur d’images et de sons dont l’un avait déjà commencé à tuer l’autre dans sa vérité intrinsèque de propositions artistiques, lorsque trop vite et trop tôt, la télévision a envahi le secteur de la production entraînant une standardisation formelle des réalisations cinématographiques, et ceci aussi bien dans son contenu que dans le langage de cette proposition. Film et téléfilm, cinéma et télécinéma … association contradictoire qui s’est faite loin des salles obscures pour laquelle tout réalisateur construit ses images et ses sons en fonction de la spatialisation d’un lieu où l’immersion du public n’est troublée par aucun élément extérieur, où le spectateur appartient lui-même au film, en devient un des acteurs privilégiés, dans l’intimité de ses sensations, ce fameux nouveau monde détaché du monde. Aucune plateforme que ce soit Netflix, Disney+, AppleTV et j’en passe présentes et à venir, aucun écran de télévision, aucun système 5.1 dans une pièce de 20 m2 ne saurait reproduire cette perception confidentielle. Mais, cette confidentialité s’étend à un groupe de personnes qui se retrouvent dans un lieu choisi, comme dans un rituel préorganisé par les frères Lumière le 28 décembre 1895. Je me sais et me sens héritier de cette invention-là qui dépassa le Kinétoscope d’Edison destiné à un seul spectateur. Là où les américains ne voyaient que plaisir individuel, onanisme cinématographique, les Lumière pensaient déjà partage d’une expérience collective, sorte d’orgie de sens et de sensations visuelles. Romain Goupil traduira cette idée dans « Lettre pour L » : « Alors c’est ça le cinéma, ressentir la même chose au même moment » … certes, peut-être pas ressentir la même chose, mais certainement ressentir quelque chose au même moment, même si ce quelque chose diffère d’un individu à l’autre. C’est là que la télévision divise, rejoint l’individualisme d’Edison et nous éloigne chacun d’une expérience plus collective. Chacun dans son coin à regarder un film qui est traité comme un vulgaire produit de consommation où avant, pendant et après, le marketing poursuit son œuvre de destruction massive détachant le téléspectateur de ses émotions pour le projeter toujours et encore dans la réalité de son quotidien consumériste. Le film est désacralisé, sacrifié au profit d’une certaine indifférence où un produit en chasse un autre, ou un film en chasse un autre, où comme disait Godard : « Le cinéma fabrique des souvenirs, la télévision fabrique de l’oubli. » Je ne veux pas que les films deviennent le cadeau d’un menu Mac Donald, regardé sur un smartphone entre deux gorgées de Coca-Cola. Les films sont pensés pour un écran de 6 m de large, pour un son 5.1 ou Atmos, regardés dans une salle obscure où seules les lumières des sorties de secours savent vous rappeler que la vie est à l’extérieur de ce lieu-là, extérieur que nous oublions l’espace de 90 minutes… Salles je vous aime … redevenez vite cette maîtresse de mes désirs de cinéma. – Tiburce 12 mars 2021

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